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Voir, juger, agir.

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Voyage

Voir, juger, agir. Aventures et mésaventures à travers le monde... 🌦
Baudouin Duchange - Chroniques

[Reportage] – L’odyssée québécoise : l’appel de la bouffe

par Baudouin Duchange 15 juillet 2020
écrit par Baudouin Duchange

 

Il faut toujours être vigilant avec les premières fois. Ce sont des stigmates à vie, des marques parfois dangereuses. Prenons l’exemple de Lois Desfarges, 25 ans, chef-cuisinier d’origine française. La première chose qu’il fit en arrivant au Québec : prendre en photo un bus scolaire jaune. Quatre ans plus tard, c’est à bord d’un de ces engins retapés en cuisine professionnelle qu’il fera le tour du Québec pour proposer les services de sa cantine roulante.

Une photographie innocente à l’origine d’un projet gastronomique incroyable ! Une aventure improbable qui m’a donné faim. J’ai donc décidé d’en parler directement avec lui.

 

Photo par Andrew Ly sur Unsplash

 

Into the Québec 

Rien ne prédestinait Loïs à déglacer le saumon sous -30 degrés dans des décors à la Into The Wild. 

Originaire du Sud-Ouest français, sa mère et sa grand-mère lui ont transmis la passion de la bouffe. C’est donc dans le Périgord qu’il apprend le métier grâce à un BTS en hôtellerie-restauration. Après une première année à travailler la cuisson du magret, il est envoyé en stage dans une célèbre chaîne hôtelière au nord du Québec avec son meilleur ami. C’est le coup de coeur. “J’ai vécu l’expérience québécoise à fond, ce mélange des cultures si particulier au Canada. Pour résumer, gros pick-up américain mais en parlant français et plus de rapport à la qualité qu’à la quantité”. Il y a aussi pris une photo d’un bus jaune.

Une fois de retour en France et son école terminée, la nostalgie des grands espaces le surprend alors qu’il travaille dans un restaurant à Arcachon. Le constat est là : en France, être cuisiner est reconnu mais mal payé, les horaires (jamais notées mais toujours dépassées) sont sur une base de 40h, les évolutions de carrière… se cuisent à feu doux. Au contraire, au Canada, si le statut est moins valorisé, il est compensé par le portefeuille et par la possibilité de devenir rapidement chef. La photo du bus jaune lui trotte dans la tête. C’est décidé : c’est dans la région francophone du Canada qu’il ira aiguiser ses couteaux ! Il s’installe dans un restaurant du Vieux-Québec où il monte rapidement les échelons. Quelques années passent.

“Une chose m’embêtait : cuisiner en intérieur sans voir d’où venait les produits. Un aspect me manquait : montrer aux clients la beauté du travail. C’est un métier où l’on travaille dans l’ombre d’une petite arrière-cuisine sans aucun lien avec les producteurs ni les clients. L’action de cuisiner n’est pas mise en valeur, n’est pas montrée, alors qu’elle est si belle”. L’idée de lâcher le Vieux-Québec pour le vrai commence à faire son chemin. Une offre sur internet plus tard, un bus scolaire jaune est garé devant chez lui. L’appel de l’aventure ronronne.

 

Le Bus Magique  

Mais avant de partir il faut avoir tous les feux verts ! Le patron est d’accord pour le laisser filer. En revanche, le bus est fatigué… Entre deux shifts, Lois entreprend donc de le retaper. Ce concept a un nom : le skoolie. Le principe est d’aménager les bus scolaires typiques d’Amérique du Nord pour en faire un lieu de vie, c’est-à-dire une version swaggie des bons vieux camping-car ! Inspiré par des forums d’habitués et des youtubers spécialisés, il lance sa chaîne au nom audacieux, LoisBus. Son petit plus ? Equiper son gamos pour en faire une cuisine roulante.

Menuiserie, plomberie, électricité, tout doit y être installé. Profitant du confinement, Lois accélère la rénovation du bus. Le résultat est saisissant, et à suivre au jour le jour sur sa chaîne Youtube créé pour l’occasion. Mais les quatorze vidéos publiées ne répondent pas à une question : comment un jeune cuisiner devient-il un pro des chantiers ? Pour le comprendre, retour au Périgord où ses parents achètent et retapent des maisons. Loïs participe à chaque étape ! On comprendra mieux son apparente facilité à manier les coupes-tubes, cintreuses ou encore des scies en tout genre à faire rosir un bourreau. 

“Skooling and cooking”, voici comment il résume son aventure. Vient donc enfin le moment où l’on peut parler des choses sérieuses, vraies et essentielles : la nourriture !

 

AvantAprès

Dans les yeux de Loïs

Lorsque je lui demande son rapport à la cuisine québécoise, Loïs me parle de fromages ! Une habitude issue de France ? Pays sur lequel De Gaulle demandait, à bon escient,  “Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromage ?” 

Non, m’explique t-il. “Le Québec a presque autant de sorte de fromage que la France.” Haters en tout genre, inutile de faire chauffer Google. Ce qui est important à retenir, c’est que, pour un français, lorsqu’on évoque le Québec, c’est malheureusement l’image des Etats-Unis qui prévaut. C’est à dire : malbouffe, fast-food, agriculture industrialisée de la mort qui tue. Et ce que Lois cherche à me dire, c’est que le Québec est tout le contraire, avec ses multiples fromageries, ses vaches uniques et ses brasseries de bières artisanales reconnues dans le monde.

La cuisine québécoise, m’apprend-il, s’est adaptée à un climat janusien : des hivers glacés et des étés torrides. Il y a donc des spécialités pour chaque saisons ! Poutine, couptons, pâtés chinois et tourtière en sauce servent à réchauffer, les saumons en salades dégustés au bord des ruisseaux permettent au contraire de se rafraîchir. 

Loïs me décrit son attachement au Québec par deux mots : “Nature” et “liberté”. Oui, le Québec est bien libre. Grâce à son terroir. 

 

L’appel de la bouffe 

La spécificité du terroir québécois, c’est justement l’un des chevaux de bataille de Loïs. A travers son projet, c’est son patrimoine culinaire d’adoption qu’il souhaite mettre en valeur en le présentant à ses clients lors des déplacements en bus. 

Pour cela, Loïs a prévu de se garer chez les producteurs locaux découverts aux surprises de la route, chez ces célébrités anonymes qui participent à la personnalité d’un territoire. Les rencontres feront l’objet de reportages Youtube à suivre sur sa chaîne. Sa première idée :  contacter un vignoble et un producteur de fraise situés sur l’île d’Orléans. “Ils font de magnifiques produits, il faut que les mentalités changent sur notre manière de percevoir la nourriture québécoise”. 

Mais le projet ne s’arrête pas là ! Après avoir filmé ses découvertes humaines et culinaires, c’est par la cuisine qu’il veut partager son aventure ! Son plan d’action : prévenir les personnes susceptibles de vouloir organiser un repas (anniversaire, fêtes…) et préparer devant eux les produits découverts autour de leur maison. Les aliments sont indissociables des paysages dans lesquels ils ont mûri. C’est pourquoi Loïs aimerait aussi emmener ses clients pêcher dans les lacs et cuisiner sur place les cadeaux du Canada. Le bus est équipé d’une table pour huit. A qui le tour ?

Le départ est prévu pour juillet. Le temps de ranger ses dernières casseroles, de fignoler son bus. Beaucoup d’espace sera laissé au hasard, Loïs n’a pas de chemin à suivre, uniquement des rêves. En revanche, la playlist, elle, est déjà programmée. Le premier kilomètre se fera au son du chanteur de country-trap Breland au refrain explicite : “don’t touch my trunk”. La recette est écrite ! 

Baudouin Duchange

 

Pour en savoir plus sur Loïs : 

  • Sa page Instagram  
  • Sa chaîne Youtube  
  • Tenté par le projet ? Loïs a lancé une campagne de financement participative. Rejoins-le dans son aventure ! 

15 juillet 2020 5 commentaires
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Carnet de voyageTribune

La Norvège en auto-stop 

par un contributeur 12 juillet 2020
écrit par un contributeur

 

Vendredi 31 Avril. Il est 7:30. Autour de moi on dort encore. Je me souviens d’hier soir où je suis arrivée dans cette immense salle vitrée. Il était tard. Les gens dormaient déjà. Il m’avait fallu du temps avant de trouver un banc libre. Rendre mon 9m2 et finir sur un banc métallique, un peu froid, pas très confortable, mais pourtant je m’y sens bien. Aujourd’hui est un grand jour. Oslo n’est qu’une étape, je dois me rendre à Kirkenes, mais pourquoi ? Pourquoi aller si loin ? Le Finnmark, région la plus au Nord de la Norvège est, dans l’esprit des gens, associée à une terre sans vie, froide, voire glaciale, remplie de moustiques. « Au Nord il n’y a rien à voir. C’est désertique et il pleut », « Que se passera-t-il si tu te retrouves blessée, au milieu de nulle part à 200 kilomètres d’une ville ? », « Reste dans le sud, il y a plus de choses à voir ». 

 

 

Pays des Samis, des pêcheurs, des élans, des saumons et des rennes, le comté de Finnmark est situé à l’extrême Nord du pays. Son étendue est plus grande que le Danemark. Il fait partie de la Laponie, qui s’étend sur les trois pays voisins : la Finlande, la Suède et la Russie. 

Kirkenes est la dernière ville avant la frontière russe. C’est aussi la ville la plus haute de la cartographie Norvégienne. Voilà pourquoi je m’y rends. Arriver au bout du bout de la Norvège et pouvoir la visiter de haut en bas. Kirkenes est aussi une ville portuaire, elle est le terminus de L’express côtier/Hurtigruten, un bateau de croisière qui assure la liaison entre 34 ports de la côte norvégienne depuis les années 90, allant de Kirkenes à Bergen. C’est d’ailleurs pourquoi dans le vol Oslo-Kirkenes, les quelques passagers sont en majorité des personnes âgées, des touristes, qui profitent de leur temps libre, pour partir se reposer sur ce spacieux navire et admirer les beaux paysages côtiers. 

 

 

Rappelons que la Norvège est un pays où les communications à terre sont peu commodes. L’Hurtigruten, avant d’être une ligne touristique, servait à livrer nourritures, nouvelles et matériels, ce train était un lien vital entre le nord et le sud du pays. 

Les hivers sont durs, longs et froids. Le Finnmark est au-delà du cercle polaire. Cela veut dire qu’en hiver, les habitants n’ont que quelques minutes de jour contrairement à l’été où la nuit n’existe pas. On appelle ça le soleil de Minuit. Dans son roman Pan, publié en 1894, Knut Hamsun décrit ce phénomène. En voici un extrait: « Il commençait à ne plus y avoir de nuit, le soleil plongeait à peine son disque dans l’océan et remontait, rouge, rénové, comme s’il était descendu pour boire. » 

Une autre particularité du Finnmark, c’est que l’été commence environ début juillet et fini mi-août. Nous sommes début juin, le printemps fait timidement son apparition: les quelques arbres que l’on peut trouver n’ont pas tous des bourgeons. Du haut de mon hublot, j’aperçois des sommets glacés, beaucoup de nuages, mais surtout beaucoup de neige.

Je repense au podcast de Les Baladeurs : « Face à face polaire avec Jérémie Villet » (https://shows.acast.com/les-baladeurs/episodes/rencontre-dans-le-grand-nord) et je croise fort les doigts pour qu’il n’y ait pas de tempête de neige à mon arrivée. Dans l’avion, il règne une atmosphère légèrement austère, ça sent les galettes de riz et j’ai déjà froid. 

Atterrissage en douceur. J’observe un paysage désertique, brut, rocheux, brume horizontale. Il y a une pluie fine qui s’ajoute au crachin normand ; au moins il ne neige pas. Au milieu du tapis roulant où l’on récupère nos sacs, il y a un ours brun sculpté. Atmosphère abrupte. 

 

 

Pour me rendre en ville, je dois prendre un bus. Panneaux en langue inconnue, il m’est difficile de les décrypter. Je me lie d’amitié avec un groupe de touristes. C’est alors qu’ils me prennent sous leur aile, et j’embarque clandestinement avec eux. 

Il a arrêté de pleuvoir et de grêler. Pancarte et pouce levé, j’attends sur le bord de la route. Je dois avouer que j’ai un peu la boule au ventre. Première voiture, deuxième voiture. J’observe le paysage rocheux, de différentes nuances de marron, de gris et de bleu; une rivière glisse près de la route ; je ne vois aucune habitation. A la troisième voiture, c’est Silja qui me prend à ses côtés, à bord de son bolide gris cailloux, se fondant parfaitement dans le paysage. On longe un lac, il correspond aux images que j’ai regardées avant mon départ mais avec le sifflement du vent en abondance, le clapotis de l’eau et le grésillement du sable fin. Silja habite à Neiden, à seulement quelques kilomètres de Kirkenes. C’est une ville un peu particulière car elle se compose en fait de deux villages, séparés par une frontière entre la Norvège et La Finlande. D’un côté il y a la municipalité d’Inari, en Finlande et de l’autre, il s’agit de la municipalité de Sør-Varanger, dans le comté de Troms og Finnmark, en Norvège. 

Amoureuse de sa région et de sa ville, elle me fait visiter. Nous passons au dessus d’une rivière agitée et poissonneuse, plusieurs voitures y sont garées, des pêcheurs. Ils viennent pour le saumon, le début de la saison de la pêche démarre ce soir à minuit. Il est 20h15. 

Le littoral de la Norvège mesure plus de 101 388 kilomètres, ce qui, selon le National Géographic, correspond à faire deux fois et demi le tour du monde en ligne droite. La mer et la pêche ont toujours accompagné le quotidien des Norvégiens. Il existe d’ailleurs « le championnat du monde de pêche au cabillaud » qui se déroule tous les ans dans les Lofoten dans le courant de Mars. Dans les terres, le pays est recouvert de milliers de lacs, de rivières et de cours d’eau. Il existe un grand nombre de techniques pour pêcher. Pour Silja, sa technique préférée est la pêche à la ligne. 

Je marche maintenant à ses côtés. Sa grande tante nous fait signe de la main ; au fond du jardin un chien aboie. Elle m’invite à rentrer ; ce soir c’est saumon de la rivière et pommes de terre.

 

 

Elina Boisson aka Jaidupaindansmonsac 

12 juillet 2020 1 commentaire
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Baudouin Duchange - Chroniques

“Voyage, voyage” : Il est temps de (bien) partir

par Baudouin Duchange 1 juillet 2020
écrit par Baudouin Duchange

 

Paris – Juillet 2020. Il m’aura fallu une centaine d’écoutes de la musique « tié la famille ! » du camarade Bengous pour enfin intégrer la question qu’il soumet à ses auditeurs : Oueskon va et Keskon fait ? 

Les dialectiques épistémologiques à la Tibovski n’ayant encore jamais foulé le sol vierge de mon savoir, je conserve un avantage argumentaire grâce à une science invérifiable : la philosophie de comptoir. Et nous en aurons bien besoin pour déterminer le sens d’un voyage !

 

Description : 'Family Holiday', Black and white photograph mounted on card, by John Heywood, 1979.

Description : ‘Family Holiday’, Black and white photograph mounted on card, by John Heywood, 1979.

 

Keskon fait ?

Ce qui est certain, c’est qu’une aventure implique un départ. Je décapsule ma première canette et marche en direction de Saint-Michel. J’ai toujours été séduit par le fait que le kilomètre zéro, en France, était le parvis de Notre-Dame de Paris. Chaque pas avancé à partir de cette place devient une aventure, même si elle termine dans les bars du quartier latin ! Certains critiqueront une vision  administrative et parisienne auto-centrée sur elle-même et ils auront probablement raison. Mais quel beau symbole ! Une fois au point de départ, il faut pourtant bien partir.

Comment partir ? Aujourd’hui, nous pouvons aller de plus en plus loin grâce aux compagnies aériennes low-cost. De nombreux boycotts dans un but écologique se sont ainsi manifestés et ont trouvé une résonance avec la crise du covid-19. La plus grande critique formée à l’encontre du commerce aérien est celle de la pollution dégagée par ces incessants monstres volants. A l’inverse, ses défenseurs insistent sur le faible impact environnemental de l’avion en comparaison à d’autres secteurs économiques, ainsi qu’à l’effet contre-productif des boycotts sur l’industrie et les métiers. 

J’ouvre une deuxième canette. Je me souviens du dernier film animé de Miyazaki « Le vent se lève », des dessins magnifiques pour tenter de créer des avions toujours plus beaux et purs. Le personnage principal, un architecte, s’inspire du vol des oiseaux et de la courbe de leurs ailes. Et comme dans le film, j’ai envie de crier : « le vent se lève, il faut tenter de vivre » ! Et pour cela il faut changer notre manière de voir le voyage. Le problème n’est pas, de mon point de vue, l’avion, la pollution et tout le reste. C’est, comme d’habitude, ce que l’être humain fait des machines qu’il conçoit. Il va voyager à l’autre bout du monde pour aller dans des hôtels aseptisés au confort similaire à un EHPAD sans se rendre compte réellement de la distance parcouru. Et il aura suffisamment payé pour se dire qu’on est ici « comme à la maison » ! Prendre conscience progressivement des territoires que l’on traverse, des paysages qui changent et des cultures qui se transforment me semble tellement plus intéressant que se prendre une simple claque en descendant d’un avion face aux nouveautés dans le duty-free et le changement de température.

 

“le vent se lève” de Miyazaki

“le vent se lève” de Miyazaki

 

Oueskon va ? 

C’est LA question que pose Ron Weasley à son poto Harry dans Harry Potter et les Reliques de la Mort. Extrait : « Chaque fois que le manque de nourriture coïncidait avec le moment où son tour était venu de porter l’Horcrux, il se révélait franchement désagréable. “Où va-t-on, maintenant” était devenu son refrain habituel […] On croyait que tu savais ce que tu faisais ! s’exclama Ron en se levant. On croyait que Dumbledore t’avait expliqué comment t’y prendre, on croyait que tu avais un véritable plan ». Comme le rouquin le plus connu de la littérature, nous pouvons nous sentir parfois déboussolé face à l’absence de carte directionnelle dans ce monde obscure. Tout le monde n’a pas la chance, comme Booba, de connaître d’avance son destin et de pouvoir chanter : « J’ai jamais su c’qu’étais mon rôle dans la vie / A part être riche, avoir une piaule à Miami beach. ». Le sens de nos misérables existences n’étant pas abordé dans cet article, je re-centrerai ma réflexion sur l’intérêt d’une destination de voyage. C’est d’ailleurs un sujet de crampe nerveuse dans la partie de mon cerveau où se situe la haine social contre la stupidité ambiante. Je me sabre une kro à coup de briquet pour me calmer.  

En effet, la plupart de mes connaissances vont chercher des paysages toujours plus éloignés alors que la France offre une terre si contrastée et méconnue, des vallées si mystérieuses et des kilomètres de côtes accessibles en TER ou en vélo. En fait, pour résumer, inutile de faire 5000 kilomètres pour voir un canyon américain : le Sentier des Ocres en Provence en offre de superbes aussi. Oui, l’herbe est toujours plus verte ailleurs, mais il suffit de faire une heure de vélo dans le Vexin pour s’en rendre compte. Je pense donc que l’enjeu du boycott des avions ne doit pas être un refus systématique de cracher sur l’avancée de la technique humaine, mais une invitation à reconsidérer notre approche du temps et de la distance. 

 

 

Konklusion : 

« On se régale » chantait Bengous d’entrain avec Jul sur l’album gratuit vol. 5. J’espère que c’est l’impression que vous aurez en terminant cette chronique mensuelle. De mon côté, je vais pouvoir rejoindre ma soirée et m’atteler à ma prochaine question Bengousienne : « Où tié bébé ? ». 

(Tu as aimé cet article ? Un autre article sur les “vacances fatiguante” a été écrit par l’auteur : A fond la forme : les vacances Quechua. Plaisir de lecture garanti !)

 

Il bacio

Il bacio

 

1 juillet 2020 3 commentaires
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Tribune

Voyage en Questionnie

par un contributeur 28 juin 2020
écrit par un contributeur

 

A l’occasion du confinement lié au Covid 19, j’ai pu me rendre en Questionnie, le pays des Questions qui ne se posent pas.

Je n’avais jamais eu l’opportunité de visiter ce pays. Il est réservé aux esprits confinés qui veulent s’évader.

Je suis plutôt le genre de mec à poser les questions qu’on pose, par exemple « comment vas-tu ? » ou juste « ça va ? ». Tous les jours, je pose les mêmes questions : celles qu’on m’a apprises à l’école. J’ai bien appris et je les pose très bien. I can even ask them in english : « how are you ? ».

Un jour que je me baladais dans ma ville confinée, attestation remplie dans ma poche, je me suis arrêté devant la vitrine d’un voyagiste. Parmis les livres qu’il proposait, une destination nouvelle attira mon attention : « Vivre sans… » de Frédéric Lordon publié par La Fabrique. Le billet valait une blinde, mais le départ était immédiat.

Le billet acheté, une belle hôtesse brune masquée de papier, me précisa : « .ien..enue à .ord .e  .et. a.ion ». Voyant que je n’avais rien compris, elle me répéta son propos démasquée : « Bienvenue à bord de cet avion de la Lordon Airways. Veuillez-vous installer, nous allons décoller ». Elle me prévint que : « le premier tiers du voyage est turbulent, on y croise de grands mots savants, organisés d’une manière étrange. Ne vous inquiétez, ils sont là pour dissuader certains esprits, n’hésitez pas à utiliser l’avance rapide. Les mots que vous rencontrerez pendant le reste du voyage sont plus facile d’accès.»

 

30 Prairial an -1

La première question que je ne m’étais jamais posé m’est tombée dessus comme ça :

Va-t-il rester quelque chose de l’État français à la fin du repas financier ?

Je ne connais pas de financier. Mais si j’avais été éduqué en financier, dressé à dénicher le moindre profit, je n’aurais pas arrêté mon travail avant d’avoir retourné le dernier bout d’État pour me saisir de chaque miette de bénéfice. Si j’étais un financier, j’aurais mangé l’État en entier.

Heureusement, je ne suis qu’un fabricant de produits de papier et de mots.

L’État français dévoré par la Finance, que deviendrait la Nation française ? Serait-il possible de la considérer comme une Nation libérée de son État ? Une Nation Libre d’État?

Je me suis souvenu d’un voyage lexical que j’avais fait il y a quelques années. J’avais rencontré un petit bonhomme amérindien du nom de Ishi. Il était un membre de la tribu Yana, en Amérique du Nord. C’est dans ce livre que j’avais la première fois découvert l’idée de Nation libre. La perspective de voir la Nation française s’éteindre de la même manière que la Yana Nation n’était pas assez plaisante pour faire partie de mes possibles. Il devait forcément y avoir une réponse à la hauteur de la Nation française.

Dans son Dictionnaire Manuel de Diplomatie et de droit international Public et Privé, Carlos Calvo, parle d’une « association politique » comme élément essentiel de l’État. Je ne sais pas vous, mais je suis gavé de la cuisine politicienne.

Est-ce qu’une « association démocratique » pourrait se substituer à « l’association politique » de l’État ?

Quelle serait la différence entre l’une et l’autre ? Je n’ai pas trouvé de réponse sur Google, alors j’ai dû en imaginer une.

La différence entre la politique et la démocratie pourrait être le mode de désignation des représentants. Les politiciens sont élus (élection), tandis que les démocraticiens sont tirés au sort (sortition).

Aussi rassurante que cette réponse puisse être, je me suis retrouvé devant une autre question.

 

 

1er floréal an -1.

Pourquoi les mots démocraticiens et sortition n’existent pas ?

Le mot sortition existe en anglais depuis longtemps déjà, mais pas en français.

 

 

Quant au mot démocraticien, il n’existe ni en français, ni en Anglais (democratician).

« Pourquoi le mot démocraticien n’existe pas ? » me suis-je demandé. Et comme je n’avais pas de réponse, je me suis adressé à l’administration en charge des mots : l’Académie française.

L’Académie française est l’administration en charge de la naturalisation des mots « sans-papier ». Je me suis saisi du formulaire B45EF789, qui correspond à la demande d’asile réglementaire pour un mot réfugié.

La bureaucratie lexicale m’a répondu : « Comme vous l’indiquez, de ces locutions dérive naturellement la locution nominale pour désigner des personnes : “les tirés au sort” ou “les personnes tirées au sort”, “tiré au sort” comptant une syllabe de moins que votre proposition “démocraticien”. A-t-on besoin de nouveaux mots ? C’est la question que devra se poser le groupe d’experts avant de commencer tout travail terminologique. À bientôt sur FranceTerme. »

Je saurais la prochaine fois que c’est le nombre de syllabe qui détermine la capacité à obtenir un certificat de naturalisation lexical.

Cette aventure administrative m’a permis de prendre connaissance d’un métier que je ne connaissais pas : terminologue. Rien à voir avec Terminator. Un terminologue vient du passé et donne la capacité à des mots d’exister, ou pas.

Combien de mots attendent patiemment un permis de circuler dans les têtes françaises ? Qu’est-ce que deviendrait ces têtes si elles disposaient de ces mots ?

J’en suis là. Je n’ai pas encore de réponses à ces questions, le voyage en Questionnie continue.

 Julien Biri

 

Découvrez

  • le dernier livre de l’auteur  : https://www.amazon.fr/dp/1677989343
  • Son site internet : https://www.petite-fabrique.fr/

 

28 juin 2020 2 commentaires
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Baudouin Duchange - Chroniques

Le questionnaire BSF : On vous écoute !

par Romain Mailliu 11 juin 2020
écrit par Romain Mailliu

Et si vous deveniez le rédacteur en chef de BSFmagazine ? 

Cela fait maintenant 7 mois que BSFmagazine grandit et évolue. Plus de 18 000 lecteurs sur ce site internet, 800 abonnés à notre Newsletter et près de 2000 membres nous suivent sur les réseaux ! 

Qui êtes-vous ? Comment adapter notre magazine à vos intérêts ? Que voulez-vous lire, voir, découvrir ? Ce questionnaire à pour objectif (suprême) d’affiner notre ligne éditoriale pour écrire les articles qui répondront à vos envies ! 

Bon on gardera toujours un peu de place pour l’imprévu, les surprises, car c’est aussi ça le plaisir de la littérature : découvre, se faire surprendre… mais on souhaite tout de même savoir ce qui vous branche ! 

Rassurez-vous, les réponses sont anonymes. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses : suivez votre instinct… Un grand merci pour votre aide !

C’est par ici : https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLScWDSmTi6YMfhghOeJw8h0iBjvCWz8C5mycOm5N1urXWVR-ZQ/viewform?fbclid=IwAR3szcGP7z36Q_nKIzGrm2q_0MMO_gyPOSnbeE7FOI_kUdieFgNIXCGmtYw

 

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Romain Mailliu - 13 mois de volontariat en Indonésie

4 solutions miracles pour motiver votre équipe

par Romain Mailliu 29 mai 2020
écrit par Romain Mailliu
LP4Y

 

Comment motiver votre équipe sur le terrain après le confinement ? A l’aide de ce cas d’étude tiré de mon expérience sur le terrain en Indonésie avec l’ONG LP4Y, je vais vous partager 4 solutions aussi miraculeuses qu’efficaces. 

Cet article est une fin alternative à mon précédent papier Another Sunny Day in Jakarta (le 29 avril 2020). 

 

4 solutions miracles pour motiver votre équipe en temps de crise. 27 mai  2020 

“Coach, can I have money to buy Gasoliiiiiiine ?”

 Les jeunes ont cette faculté – sagesse ? – de nous ramener à des problématiques pragmatiques. Ce matin, ils sont cinq à assurer la livraison d’eau potable. Cinq, car c’est le nombre maximum autorisé par le gouvernement. David Allen aurait certainement complété en expliquant qu’un homme efficace en vaut cinq.

 Je rajouterais que cinq hommes non efficaces n’en valent pas beaucoup plus. Si ce matin la motivation des jeunes était un rayon de soleil, le risque d’attraper une insolation serait dérisoire.

Il faut dire qu’à leur âge, dix-huit ans en moyenne, je n’avais pas besoin d’obtenir un travail décent pour nourrir ma famille. Si on ajoute à cela les écoles fermées et la dysphorie générale autour du coronavirus, je comprends pourquoi le lundi matin les chaussures des jeunes poncent le carrelage de la salle de production. Pourtant il n’est pas question de ralentir l’activité.

 Dans le monde professionnel qui les attend, ils ne feront pas office de cas à part :  les attentes seront les mêmes pour tous. Les diplômés de l’université issue des classes sociales aisées comme nos entrepreneurs des quartiers plus modestes. Ils ne seront pas pris en pitié car ils doivent faire deux heures de route dans les transports en commun pour venir travailler. Ni parce qu’ils n’ont qu’une paire de chaussures « professionnelles ». Seules la qualité du travail, la posture et la motivation feront la différence. La route du succès est semée d’embûches. Depuis toujours, nos jeunes entrepreneurs affrontent les difficultés avec un courage, un positivisme et une détermination qui à mes yeux est inexplicable. C’est leur plus grande force et c’est pour cela qu’ils y arriveront. Encore. Toujours. 

 

LP4Y

Setia et Wahab en livraison d’eau potable (28/11/19) – © Romain Mailliu

 

Bref, comment vais-je bien pouvoir motiver mon équipe ? A l’aide de mon expérience internationale en gestion d’équipes distributives agiles pluridisciplinaires en temps de crise, je vais vous partager 4 best practices qui ont fait le succès de ma méthode à travers le monde. 

 

1. Etre à l’écoute 

 

 “Celui qui sait écouter deviendra celui qu’on écoute.”

 Vizir Ptahhotep

 

 L’histoire d’un pays permet de comprendre sa culture. L’histoire d’un jeune nous aide à comprendre son attitude. Comment pouvons-nous résoudre les problématiques de nos équipes si nous n’échangeons pas avec elles ? Nos jeunes, il s’avère que très peu de monde s’intéresse à eux. C’est d’ailleurs ce qu’on appelle l’exclusion : ne pas exister aux yeux des autres. Ecouter nos jeunes c’est primordial. Il faut que l’écoute soit active. Pour cela, la volonté d’apprendre est indispensable. Les bonnes paroles sont celles qui se transforment en enseignement et les jeunes ont beaucoup à nous apprendre. 

 Lorsque nous devons faire face à une problématique, les informations sont rarement structurées. Un sujet est mis sur la table, quelqu’un n’est pas d’accord, il s’exprime sur un nouveau sujet, ce qui entraîne de nouvelles réactions, et quand on revient finalement au sujet d’origine, beaucoup de choses ont été dites. Quand on a récolté les informations qui sont les fruits de l’écoute, il faut ensuite les analyser. Analyser, c’est décomposer un tout en ses éléments constituants et en établir les relations. 

 Dans un défi complexe – comme motiver une équipe –  il y a rarement des évidences, il a quelquefois des incertitudes, il y a toujours des compromis. C’est en analysant et en écoutant qu’on se donne les chances de réaliser les bons compromis. Ecouter, c’est prendre le temps de préparer un cadre pour recentrer le débat.  On peut ensuite prendre la parole et être écouté.

Mais parfois, l’analyse logique, mathématique et scientifique ne suffisent pas. Bien que l’on dispose d’une multitude de données, aucune solution ou tendance ne semble vouloir se profiler. Il semble manquer en élément dans cette équation complexe qui nous permet de résoudre des problèmes, d’autant plus que ceux-ci concernent le management. Cet élément, c’est l’empathie.

 

2. faire preuve d’empathie et de bon sens

 

«Toute prédiction est un ressenti du futur, par empathie du présent de son passé.»

Serge Zeller

 

L’empathie est une simulation mentale de la subjectivité d’autrui. C’est la capacité de s’identifier à l’autre dans ce qu’il ressent. Celle-ci permet d’anticiper – plus ou moins –  les réactions humaines, et s’avère donc un outil utile quand il s’agit de motiver une équipe. 

 L’empathie permet aussi de faciliter les échanges. En management, les présentations sont omniprésentes. Training, ateliers, briefing : la façon d’annoncer les choses à une importance capitale. Faire preuve d’empathie permet d’adapter son discours à la situation et d’avoir « le mot juste ».

 Il m’est arrivé pendant ma mission de coach – qui n’est d’ailleurs pas terminée – de faire face à des retournements de situations inattendues. L’empathie a permis d’accompagner les jeunes, et de contrôler leurs réactions, qui aurait pu être négative si nous avions exposé les faits sans écoute et sans empathie.

 L’empathie permet l’offensive à travers un bon sens critique. En temps que coach – et également dans la vie – il faut toujours garder un bon sens critique. Il ne faut pas faire l’erreur d’accepter les évidences de premier abord. Le bon sens c’est prendre du recul et examiner un sujet dans sa globalité. L’empathie associée à l’analyse et à l’écoute permet en quelque sorte une EXTREME lucidité. 

 

3. Intégrer et responsabiliser chaque membre de l’équipe au projet

 

“Parce que c’est notre projet !”  

Emmanuel Macron

 

Catalyseurs, et tout particulièrement coaches, nous ne sommes pas des petits chefs d’entreprises tyranniques amoureux des résultats net exponentiels et du pouvoir jouissif d’une équipe qui nous obéit, des étoiles dans les yeux. Si vous voulez mon sentiment, un bon coach doit pouvoir disparaître sans que son équipe et l’activité qu’elle dirige ne subissent une quelconque perturbation. Nous sommes des oiseaux de passage. La motivation des jeunes ne doit surtout pas dépendre exclusivement de nous. Pour cela, il est de notre devoir de leur faire comprendre l’importance d’être l’acteur principal dans le film de leur propre vie. 

Pour prendre part à un projet et s’identifier à son objectif, il faut y être intégré dans l’idéal de sa conception à sa réalisation. Il faut pouvoir s’assimiler à lui. Alors sur le court terme cela prend plus de temps. Pour vous donner un exemple pragmatique – ce qui n’est pas ma spécialité vous l’aurez remarqué – nous devons acheter avec mon équipe en Indonésie une nouvelle moto avec un chariot à l’arrière pour effectuer nos livraisons. Je pourrai faire un rapide benchmark sur internet, présenter mes résultats au département finance de LP4Y et acheter cette moto avant la fin de la semaine. Les jeunes la verront un matin dans l’entrée, comme un cadeau de LP4Y. “Thank You Coach !” Cela serait rapide mais n’aurait aucune valeur ajoutée dans la formation de nos jeunes.  

Pour chaque projet, j’essaie de partir de la racine du problème afin de challenger les jeunes pour qu’ils trouvent ensemble des solutions. Dans mon histoire de moto, la partie financière fut particulièrement intéressante car notre atelier a permis de dégager des solutions que je n’avais pas imaginé. “Comment allons-nous faire pour acheter une nouvelle moto ? Nous allons vendre plus de gallons ! Comment ? En trouvant plus de clients ! Comment ? En travaillant avec des entreprises ! Comment ? En leurs vendant des grandes quantités de  gallons ! Comment ? Avec la nouvelle moto qui permet de livrer une dizaine de  gallons en même temps !” VICTOIRE ! La moto est devenue un vrai besoin qui s’intègre dans un projet défi par les jeunes. 

 

4. La rigueur

 

«La rigueur vient toujours à bout de l’obstacle.»

Léonard de Vinci

 

On peut vous reprocher de ne pas savoir quelque chose, on ne peut pas vous reprocher de manquer de rigueur. La rigueur est primordiale quand prend en main n’importe quel défi. Lorsque l’on doit motiver une équipe, et que l’on ne connaît pas encore tous les pourquoi-du-comment, la seule carte en main pour montrer sa crédibilité est la rigueur. Etre rigoureux, c’est être exact, logique et inflexible. C’est cette rigueur qui permettra ensuite de comprendre les problématiques des jeunes, leurs contraintes et pourquoi la motivation n’est pas au rendez-vous ce matin. 

La rigueur impacte la forme, le fond, s’applique à toutes choses . c’est la clé pour concilier efficacité, efficience et fiabilité !  

 

La journée se termine et 43 gallons d’eau potable ont été livré dans le bidonville. Les jeunes sont fiers : ils partagent le sentiment du devoir accompli. Ils me demandent de prendre une photo, petit rituel que nous avons établi pour élire la meilleure équipe du jour qui est toujours la même : Celle que forment tous les jeunes réunis ! 

 

LP4Y

La meilleure équipe du jour (Depol, Taufan, Bila, Jeremia) – © Romain Mailliu

 

Photo de couverture : Dani et Angel  on delivery (28/11/19)  – © Romain Mailliu

29 mai 2020 1 commentaire
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ActualitéCarnet de voyageRomain Mailliu - 13 mois de volontariat en Indonésie

Le jeûne éternel

par Romain Mailliu 13 mai 2020
écrit par Romain Mailliu
Enfant dans les rues de Kampung Sawah (mars 2020) - © Romain Mailliu

 

À Kampung Sawah, le danger numéro un n’a pas changé et il est partagé par bonne partie de l’humanité. Le coronavirus ? Non. La baisse de l’immobilier ? Non. Un tweet borderline d’Elon Musk qui ferait chuter l’indice Tesla ? Non plus. C’est de ne rien avoir pour remplir son assiette.

La crise sanitaire mondiale menace Kampung Sawah, le bidonville indonésien de Romain. Suivez avec son carnet de bord l’impact du Coronavirus dans les quartiers les plus pauvres. [Chapitre 4]

 

Le jeûne éternel. Le 4 mai 2020

 Des enfants rient dans les rues. Le soleil se couche sur Kampung Sawah, bidonville du nord de Jakarta, situé entre une zone de dépôt de conteneurs et une pseudo-autoroute. Un bidonville est un quartier qui n’existe pas. Aucun des vingt mille habitants n’y a un quelconque droit de propriété. Ils se sont attribués cette espace, car il faut bien habiter quelque part. C’est une zone inondable, alors il arrive parfois que les nuits soient tristes et courtes. Mais le soleil finit toujours par sécher les larmes. Avec le temps, maintenant quarante ans, Kampung Sawah s’est fait un nom, et on a tracé ses frontières sur les cartes.

 Le pak RW, une bâtisse en béton situé dans l’angle du carrefour principal, fait office de mairie. C’est l’œil du gouvernement qui observe et documente les évolutions de cette ville qu’il faudra déconstruire un jour. Il y a déjà trois ans, quelques habitants, prophètes de l’apocalypse, criaient à qui voulait l’entendre qu’une avenue viendrait remplacer ce quartier marginal. Aujourd’hui, les fondations d’un pont se dessinent à l’horizon. Il doit relier le dépôt à l’autoroute. Le temps donne toujours raison aux prophètes. 

 

Kampung Sawah

Les conteneurs qui bordent Kampung Sawah (Avril 2020)  – © Romain Mailliu

 

Dans ce lieu coupé du monde, le coronavirus n’existe pas. C’est une légende qu’on voit passer sur les réseaux sociaux, comme les footballeurs qui collectionnent les voitures de sport ou les actrices qui défilent avec de luxueuses robes sur des tapis rouges. Pourtant, l’Indonésie est touchée – moins que nos pays occidentaux ce que je n’explique pas – et au 4 mai 2020, 12 071 cas ont été confirmés pour 872 décès. La population indonésienne réunit 267,7 millions d’habitants. Alors dans une économie au ralentie qui licencie à tour de bras sans compensation, le risque de mourir de faim est supérieur à celui d’attraper un Covid-19 virulent. 

À Kampung Sawah, le danger numéro un n’a pas changé et il est partagé par bonne partie de l’humanité. Le coronavirus ? Non. La baisse de l’immobilier ? Non. Un tweet borderline d’Elon Musk qui ferait chuter l’indice Tesla ? Non plus. C’est de ne rien avoir pour remplir son assiette. La famine. Catastrophe fatidique quand on ne gagne ou qu’on ne produit pas assez pour se nourrir. La bonne fortune n’est pas contagieuse.

L’Indonésie a fait le choix de ne pas mettre en place de quarantaine et cela a sans aucun doute limité la famine dans les quartiers les plus pauvres. Il n’y a pas de bonne pensée manichéenne.

 Alors je constate que porter un masque, rester chez soi, respecter les distances barrières, sont des comportements dérisoires pour les habitants de notre village clandestin. Pourtant, les campagnes de sensibilisation font rage et sur tous les supports. A-t-on trouvé une fin utile à l’utilisation des réseaux sociaux ? Peut-être, si nous mettons de côté les fakes news, toujours plus nombreuses, qui viennent noircir un tableau déjà ténébreux. 

Dans les ruelles, des « Corona » raisonnent, prononcées rapidement, dans un souffle, comme on dirait une vulgarité. Puis ce mot international, synonyme de danger, qui a le pouvoir d’unir les nations comme de les cloisonner, est toujours suivi d’un éclat de rire.  

 

Petite fille résidante à Kampung Sawah (Avril 2020)  - © Romain Mailliu

Petite fille résidante à Kampung Sawah (Avril 2020)  – © Romain Mailliu

 

Et le pouvoir législatif dans tout cela ? Respecter les règles sanitaires, c’est se donner les chances de maîtriser le virus rapidement, pour relancer l’économie, pour relancer la politique, pour la SURVIE de la nation ! Il me semble qu’un amendement a été mis en place obligeant le port du masque dans les rues mais, à Kampung Sawah, il y a plus de fantômes que d’agents en képi pour faire respecter les lois. Peut-être que la police souhaite éviter la situation embarrassante de verbaliser une mère qui n’a déjà pas assez d’argent pour nourrir ses enfants…

À quoi bon parler de SURVIE à des familles qui, depuis toujours, n’ont d’autre combat que de trouver de la nourriture et un toit pour vivre un jour de plus.

 Des enfants rient dans les rues. Le soleil se couche sur Kampung Sawah, bidonville du nord de Jakarta, situé entre une zone de dépôt de conteneurs et une pseudo-autoroute. Le ramadan y a débuté depuis plus d’une semaine et les inondations ont laissé place à une chaleur ardente et sèche. L’appel à la prière se prolonge nuit et jour, solennellement, comme les loups hurlent à la lune, comme les baleines chantent aux abîmes. Depuis mon arrivée il y a huit mois dans cette communauté exclue du monde – ou plutôt exclue d’un monde – je n’ai jamais vu autant d’enfants jouer ensembles. Les mosquées sont pleines et les sourires, qu’aucun masque ne vient effacer, se dessinent sur tous les visages. Les festins nocturnes perdurent et bien que le riz prenne de plus en plus de place dans l’assiette, les familles se réunissent pour célébrer ensemble la fin du jeûne.

 

L’amour d’une famille, le centre autour duquel tout gravite et tout brille.

Victor Hugo  ; Les chants du crépuscule, A mademoiselle Louise B. (1834).

 

Enfants dans les rues de Kampung Sawah (mars 2020)  - © Romain Mailliu

Enfants dans les rues de Kampung Sawah (mars 2020) – © Romain Mailliu

 

Découvrir le chapitre précédent : Another Sunny Day in Jakarta →

Photo de couverture : Enfant dans les rues de Kampung Sawah (mars 2020)  – © Romain Mailliu

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ActualitéCarnet de voyageRomain Mailliu - 13 mois de volontariat en Indonésie

Another Sunny Day in Jakarta

par Romain Mailliu 29 avril 2020
écrit par Romain Mailliu
Jeune LP4Y

Les jeunes ont cette faculté – sagesse ? – de nous ramener à des problématiques plus pragmatiques.

La crise sanitaire mondiale menace Kampung Sawah, le bidonville indonésien de Romain. Suivez avec son carnet de bord l’impact du Coronavirus dans les quartiers les plus pauvres. [Chapitre 3]

 

Another Sunny Day. Le 12 avril 2020

 Pas de réveil programmé ce dimanche matin. C’est peu habituel car les premières heures du jour sont pour moi les plus belles. Pas question de les manquer. Quand la ville se met en route, pas à pas. Que les visages endormis s’offrent aux premiers rayons de soleil. Seuls les oiseaux chantent, et c’est assez. La température est agréable : 22 C° et un courant d’air marin vient caresser ma peau qui frissonne de plaisir.  

Mes yeux s’ouvrent naturellement à 8h30. C’est suffisamment tôt pour décréter que la journée reste exploitable. Je casse deux œufs dans une poêle. Jean-Marc, ou plutôt John – les Asiatiques n’arrivent pas à articuler et retenir son prénom administratif – frictionne nerveusement la pâte à pain faite aux premières lueurs du jour. 

« Ce matin, j’ai reçu une photo d’une jeune des Philippines. Une cuillère remplie d’une eau blanchâtre. C’est l’eau salée dans laquelle elle fait cuire le riz. Il ne lui reste plus que ça pour nourrir son bébé. Elle a vingt-deux ans et trois enfants. Son aîné a sept ans… Avec le confinement, elle n’arrive pas à quitter son bidonville pour rejoindre notre centre. L’équipe de Manille est sur le coup, nous allons trouver une solution. »

La misère ne prend pas de week-ends. Des réveils comme celui-ci, John doit en connaître plusieurs fois par an. Depuis 10 ans, son ONG LP4Y a accompagné 2 662 jeunes vers le monde professionnel décent. Pourtant, aujourd’hui la situation est exceptionnelle. Les Jeunes et leur famille sont les plus affectés par les conséquences de cette crise sanitaire et économique mondiale. Et derrière ces chiffres il y a des visages, des noms, et des messages qui exhument le poids de nos responsabilités.

 

LP4Y

L’équipe de Source Of Life, notre programme de vente d’eau potable (Janvier 2020) –
© Romain Mailliu

 

« Être adulte, c’est être seul », disait Jean Rostand. Au contraire, je pense qu’être adulte c’est prendre conscience de l’importance des autres. L’idée n’est pas toujours séduisante. Elle a même terrifié Jean-Paul Sartre avec sa célèbre phrase : « L’enfer, c’est les autres ». Il ajoute dans son essai l’Être et le Néant : « S’il y a un Autre, quel qu’il soit, où qu’il soit, quels que soient ses rapports avec moi… J’ai un dehors, j’ai une nature ; ma chute originelle c’est l’existence de l’autre ». Conclusion : Nous prenons conscience de la triste existence qui sera la nôtre quand nous découvrons que nous ne sommes pas seuls sur terre. C’est ça, l’âge adulte. Il va falloir apprendre à vivre ensemble : quel enfer ! Quand on observe les inégalités qui sont les mêmes partout dans le monde, on devine que nous n’avons pas tous adopté les mêmes règles de jeu. 

L’étudiant assidu que vous étiez en terminale – second rang : place idéale pour suivre la prestation de votre professeur de philosophie dépressif tout en évitant les postillons propulsés par l’effluve de son haleine caféine Marlboro – ajouterait que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres #Rousseau.  Décidément, pas facile de vivre ensemble.

 Pourtant, soyons honnêtes, les meilleurs moments que nous vivons sont ceux que nous partageons avec les autres. N’allez pas me dire que vous avez vécu l’extase un mercredi soir devant une série B avec votre Heineken dans la main droite et votre ordinateur portable Lenovo – PowerPoint ouvert sur la dernière slide de votre Comex du lendemain – dans la main gauche.

On peut connaître certains moments d’émerveillement seul : lors d’une balade matinale un dimanche matin à travers le marché Boulevard Vincent Auriol, en découvrant un nouveau clip de PLN le vendredi soir… Mais la joie ?  

je fixe mon ordinateur, le regard vide, mon reflet apparaît à l’écran. La matinée est déjà bien avancée. Excepté l’écriture de mes états d’âme et l’écoute léonine du nouvel album des Strokes, je n’ai pas fait grand-chose. À ma gauche Fanette somnole sur la terrasse, à ma droite la panthère des neiges de Tesson bronze au soleil. La brise gonfle notre hamac qui prend l’allure d’un spi et je me surprends à rêver de croisières en voilier dans le Golfe du Morbihan. Fin de l’album des Strokes, Spotify déclenche la lecture aléatoire : Belle & Sebastien – Another Sunny Day. 

 

LP4Y

Vue de notre terrasse au lever du soleil – © Romain Mailliu

 

La route du succès est semée d’embûches. 15 avril 2020 

« Je vais rentrer en France. C’est terminé : j’arrête ma mission »

 Mardi, 10h23. J’ai l’impression que mon cerveau me rejoue une mauvaise scène. Pourtant, la semaine commençait bien. Un nouveau planning pour les jeunes, des mesures sanitaires plus crédibles du gouverneur de Jakarta, deux nouveaux commentaires sur mon précédent article et un demi-fruit de la passion dans le réfrigérateur. Seulement, le frisson dans mon dos déclenché par cette réplique sortie de nulle part me rappelle une baignade sous la pluie grasse d’Écosse – le long du West Highland Way après 35 kilomètres dilués aux singles malt – il y a de cela trois ans déjà.

Je n’ai jamais réussi à retenir plus de trente mots d’indonésien (bahasa) et pourtant ma cervelle me rappelle, avec une précision mesquine, mes barbotages dans les rivières caillouteuses quand Inès nous remet sa démission.

 

West Highland Way (Août 2016) - © Romain Mailliu

West Highland Way (Août 2016) – © Romain Mailliu

 

Grand silence. Inès. La plus solide des guerrières. Depuis qu’elle nous a rejoints avec John, elle n’a jamais décroché de son ordinateur. Vidéo Call avec les USA, tableau Excel pour évaluer les besoins des jeunes pendant la crise, WhatsApp pour répondre aux équipes d’Asie : une productivité à faire pâlir David Allen. Et pourtant, la voilà qui quitte le navire. Bordel. Depuis deux ans chez LP4Y, elle venait de commencer sa nouvelle mission. Coup dur pour LP4Y, coup dur pour notre nouvelle colocation, coup dur pour John. La vie n’est-elle donc qu’une mauvaise blague ? Je vais acheter des bières. Tous les discours du monde ne valent pas une pinte de houblon fraîche vers 19h, quand les obligations professionnelles laissent place au chant du muezzin. Inès. Je n’en reviens pas. Certes, elle avait montré quelques signes de fatigue mais j’étais loin de m’imaginer le dilemme qui devait se jouer dans sa tête. Entre deux lignes, il faut se rendre à l’évidence : ne perdons pas notre temps à imaginer ce qui se passe dans la tête des autres. C’est peine perdue. Concentrons-nous sur les méandres de nos âmes respectives, cela devrait suffire pour une vie ou deux.

Pourtant, après le départ de Sarah et l’arrivée de Inès et John, notre collocation avait pris un sens esthétique et culinaire plaisant. Avec l’aide d’un bocal de champignons caché dans le double fond de sa valise, John nous a cuisiné pour Pâques un poulet aux morilles. Bricoleur appliqué, il a construit avec quatres planches de bois et tout autant de clous deux étagères Philippe Starck. Il a également installé des guirlandes lumineuses sur la terrasse et bien qu’étant végétarien à mi-temps, m’a chargé d’acheter trois kilogrammes de rumsteck. Certains personnages dégagent une énergie similaire à deux noyaux atomiques qui s’assemblent. John en fait partie. Inès. Merde. Nous avions même commencé à discuter de rap français.

 

Photo de campagne pour notre levée de fond pour les jeunes  que nous accompagnons via un challenge de 24H de méditation (Avril 2020) - © Romain Mailliu

Photo de campagne pour notre levée de fond pour les jeunes  que nous accompagnons via un challenge de 24H de méditation (Avril 2020) – © Romain Mailliu

 

“Coach, can I have money to buy Gasoliiiiiiine ?”

Les jeunes ont cette faculté – sagesse ? – de nous ramener à des problématiques plus pragmatiques. Ce matin, ils sont cinq à assurer la livraison d’eau potable. Cinq, car c’est le nombre maximum autorisé par le gouvernement. David Allen aurait certainement complété en expliquant qu’un homme efficace en vaut cinq. Je rajouterais que cinq hommes non efficaces n’en valent pas beaucoup plus. Si ce matin la motivation des jeunes était un rayon de soleil, le risque d’attraper une insolation serait dérisoire.

Il faut dire qu’à leur âge, dix-huit ans en moyenne, j’étais plus appliqué dans l’étude subtile du mécanisme diablement ingénieux des épingles de soutien-gorges plutôt que par l’idée d’obtenir un travail décent pour nourrir ma famille. Si on ajoute à cela les écoles fermées et la dysphorie générale autour du coronavirus, je comprends pourquoi le lundi matin les chaussures des jeunes poncent le carrelage de la salle de production. Pourtant – et Inès aurait été d’accord – il n’est pas question de ralentir l’activité.

Dans le monde professionnel qui les attend, ils ne feront pas office de cas à part :  les attentes seront les mêmes pour tous. Les diplômés de l’université issue des classes sociales aisées comme nos entrepreneurs des quartiers plus modestes. Ils ne seront pas pris en pitié car ils doivent faire deux heures de route dans les transports en commun pour venir travailler. Ni parce qu’ils n’ont qu’une paire de chaussures « professionnelles ». Seules la qualité du travail, la posture et la motivation feront la différence. La route du succès est semée d’embûches. Depuis toujours, nos jeunes entrepreneurs affrontent les difficultés avec un courage, un positivisme et une détermination qui à mes yeux est inexplicable. C’est leur plus grande force et c’est pour cela qu’ils y arriveront. Encore. Toujours. 

 

Dani et Angel en livraison (28/11/19)  - © Romain Mailliu

Dani et Angel en livraison (28/11/19)  – © Romain Mailliu

 

Découvrir le chapitre précédent : Une mer calme n’a jamais fait un bon marin →

 

Photo de couverture : Kusniawaty, jeune femme du programme en management step (Avril  2020) – © Romain Mailliu

29 avril 2020 8 commentaires
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ActualitéCarnet de voyageTribune

Azerbaïdjan : à l’assaut du Caucase !

par Guillaume Godest 24 avril 2020
écrit par Guillaume Godest
Les champs de pétrole de Neft Daşları : première exploitation offshore de l’histoire (photo Wikimedia)

 

Il y a fort à parier que vous n’avez pas la moindre idée de ce que c’est que l’Azerbaïdjan, que de toute façon vous n’y mettrez jamais les pieds, et que personne ne vous en parlera. Pourtant le Caucase, composé d’une mosaïque d’ethnies qui se sont entre-égorgées pendant des millénaires, et ancien Eldorado du pétrole, a tout pour nourrir vos rêveries.

Logé aux confins des Empires perse, romain, byzantin, ottoman et russe, envahi par les Scythes, les Cimmériens, les Arabes et les Mongols, l’Azerbaïdjan s’est toujours retrouvé pris en étaux entre les puissants, tantôt conquis, puis dégorgé, soumis, révolutionnaire, nationaliste enfin. Aujourd’hui, ce sont les États-Unis, la Russie et la Chine qui se disputent l’Asie centrale, et font du Caucase et de la Caspienne “l’échiquier sur lequel se joue un jeu pour l’hégémonie mondiale“ (Lord Curzon). 

Je voulais poser le pied sur cette terre de toutes les convoitises, humer les odeurs de naphte, sentir qu’ici l’histoire continuait de s’écrire, fuir Paris, ses Lime, sa post-Histoire. Je me suis installé à Bakou pour six mois.

 

Vue de Baku

Vue de Baku

 

Une ville sur le trottoir

 J’en avais assez d’être enfermé, alors je suis sorti de chez moi pour aller voir la mer. Dix minutes à peine et je suis sur le « Boulevard », sorte de promenade des Anglais où le petit peuple de Bakou vient parader les fins de semaine. Je passe plusieurs heures par jour à éplucher la presse nationale, docilement tenue sous la férule du gouvernement. C’est quotidiennement la même rengaine : culte rendu au président Aliyev, démonstration que l’Arménien est fait avec la pire fange de l’humanité, cours du Brent. L’Azerbaïdjan d’aujourd’hui se trouve tout entier dans ce triptyque. L’essence de la capitale, elle, sur le Boulevard.

 Un échiquier en plastique géant, et vingt vieillards autour qui s’écharpent sur le coup à jouer pour faire mat. Bras dessus, bras dessous, à la turque, les hommes discutent de vétilles. Les femmes surmaquillées viennent éprouver le fond de teint bon marché qui leur coule sur les joues. Assis sur les bancs, les adolescents timides regardent les filles passer, et des fossettes aux cheveux, celles-ci rougissent, terriblement gênées, quand elles s’aperçoivent que je les observe. Un chien errant hésite à s’aventurer sur les pavés. À quelques mètres, une bande de bimbos adossées à la balustrade montrent leurs jambes au soleil et aux passants. Vous auriez tort de leur prêter des pensées impures : le pays fut le premier État laïque du monde musulman et les cheveux des femmes volent libres dans les bises de la « cité des vents », mais les vieilles traditions archaïques et paternalistes n’en règlent pas moins la vie de la jeunesse : une fille qui ne se marie pas vierge est un déshonneur pour sa famille.

 Les voiles et les qamis signalent les touristes arabes ou iraniens. On parle russe, aussi. Longtemps république soviétique, l’Azerbaïdjan l’utilise encore suffisamment pour que le doute s’installe : Russe ou Bakinois ?

 Toute la ville vient transpirer son insouciance sur quatre kilomètres à peine. Le cuir noir de leurs chaussures est impeccablement ciré, et sous leurs casquettes de fourrure, s’assurant que l’air de liberté qui circule ne donne pas de mauvaises idées à la foule, les officiers de police semblent des bergers dont les bâtons sont des matraques. J’en croise par groupe de trois ou quatre ; d’autres veillent en voiturette. On les oublie, leur présence ne pèse pas, pourtant je sais qu’ils sont rôdés à l’art d’écraser leur arme sur les têtes un peu trop insoumises : Ilham Aliyev, fils d’Heydar Aliyev, son prédécesseur qui fit ses classes au KGB et qui lui a légué la présidence du pays, dirige un État policier aux prisons pleines d’opposants politiques.

 

Ilham Aliyev fête sa “réélection” en 2018 avec 86% des voix  (photo Wikimedia)

Ilham Aliyev fête sa “réélection” en 2018 avec 86% des voix  (photo Wikimedia)

 

De l’or au fond de la mer

 L’air du large est chargé d’effluves de pétrole. Là-bas, les plateformes offshore tirent des profondeurs de la Caspienne la précieuse huile noire qui alimente l’Europe et la Turquie. À la surface de l’eau, un reflet m’attire l’œil ; une longue écharpe visqueuse et foncée chatoie : ce sera quelque fuite d’une exploitation. Au milieu des mégots, les bouteilles en plastique que le calme flot balance à peine achèvent de me décourager de me baigner dans cette mer qu’on semble avoir pris pour une déchetterie. La tête ailleurs, je fixe les eaux en pensant aux temps romantiques où le cosaque Stenka Razine pillait les côtes des environs. Fini aussi la pêche à l’esturgeon ! les pollutions de l’ère soviétique puis le braconnage ont eu raison du poisson et de ses œufs qui faisaient la richesse de la région. Un autre or noir a pris la place du caviar : plus de pêcheurs, ici les seuls navires que l’on distingue sur la ligne d’horizon sont des tankers géants. Cette mer a l’allure d’un lac immobile ; on la croirait déprimée, sans doute d’avoir bu trop de sang et de mazout.

 Son abattement me gagne. J’arrive sur Azneft Meydani, place Socar, du nom du groupe pétrolier national. Les hydrocarbures sont l’alpha et l’oméga du pays et tout vous le rappelle. Je fais souvent ce cauchemar : seul au milieu d’un champ de derricks qui s’étend à l’infini, je patauge dans un épais liquide visqueux, quand se lève devant moi un immense monstre noir qui grandit en buvant tout ce qui l’entoure, et m’aspire à lui. Pour respirer, je décide d’aller me perdre dans les ruelles de la Vieille ville, enfermée dans son enceinte crénelée construite avant l’ère du pétrole.

 

Les champs de pétrole de Neft Daşları : première exploitation offshore de l’histoire (photo Wikimedia)

Les champs de pétrole de Neft Daşları : première exploitation offshore de l’histoire (photo Wikimedia)

 

Peut-on fuir le pétrole ?

 Impossible d’y couper, car d’autres monstres gardent la ville. Les Flame Towers, ces trois tours de verre figurant des flammes de 200 mètres, sont recouvertes de milliers de LED qui enflamment leurs façades ou les animent aux couleurs du drapeau national. Peu après l’indépendance succédant à l’effondrement de l’Union soviétique, Heydar Aliyev accorda l’exploitation des champs pétroliers azéris à onze compagnies internationales ; le pays se réserva 80% des bénéfices : c’est le « contrat du siècle ». Dans les années 2000, l’euphorie est totale : le pays croule sous des dollars qu’il n’arrive plus à dépenser. Ces tours, comme tous les gratte-ciel qui sortirent alors de terre, sont les témoins de cette époque où Bakou redevenait l’Eldorado pétrolier qu’elle était un siècle plus tôt.

 M’abrutir dans un bar est la dernière option qu’il me reste. Dans celui où j’échoue, une poignée de gros Anglais discutent avec des Azerbaïdjanaises dont les yeux brillent quand elles songent aux portefeuilles des ingénieurs de BP. Celles qui parlent anglais peuvent se faire quelques manats. L’ambiance est coloniale. Je me terre dans un coin et fait mine de griffonner dans mon carnet pour qu’on m’oublie. Une jeune Azérie passe sans cesse devant moi, ondoyant des hanches avec la lascivité d’une petite prostituée rompue à l’exercice. Lentement, muette, sans même me regarder, elle vient par deux fois remplir mon verre en glissant son bras au-dessus de mon épaule, me frôlant presque avec le mouvement coulé d’une couleuvre. De guerre lasse, elle finit par tenter une manœuvre de front : « Do you want to play billiard ? » Je décline. Elle s’en retourne au comptoir sans cacher son agacement : bredouille.

 

 Statue du poète Mirza Alakbar Sabir devant les remparts de la Vieille ville

Statue du poète Mirza Alakbar Sabir devant les remparts de la Vieille ville

 

« C’est ça l’Azerbaïdjan ! »

Je rentre par le quartier Kubinka, dont les taudis devraient être rasés pour faire la place à un complexe résidentiel flambant neuf. J’aime ces minuscules maisons à un ou deux étages qui tiennent encore debout grâce aux prodiges d’ingéniosité des habitants. Devant, de vieilles Lada Jigouli de la période soviétique, de petits vieillards décrépits qui jouent inlassablement aux dés en sirotant du thé noir. Le linge sèche sur des fils tendus au-dessus de la tête. Dans certaines ruelles, des dizaines de jeunes hommes nettoient les voitures des beaux quartiers pour une poignée de manats. Un peu plus loin, une grosse Mercedes se gare à côté d’une Chevrolet dernier cri. Sanglé dans son costume cintré, l’homme qui en sort s’engouffre dans une bicoque qui n’a même plus de fenêtre. Bien qu’ils se soient enrichis, certains habitants demeurent encore ici : ils espèrent que les autorités les délogeront bientôt pour leur offrir un bel appartement dans les futurs immeubles. Ils ont la patience du pays.

 Pour ouvrir la porte de mon studio je suis forcé de me faufiler entre le mur et la machine à laver que le plombier doit m’installer. Il vient plusieurs fois par semaine ; il se frotte le menton et réfléchit longuement en considérant le gros carton. « Je reviendrai plutôt demain… ou après-demain ». Cela fait près de deux mois que ça dure, et je lave toujours mes caleçons dans l’évier. Comme dit un expatrié français que je fréquente, il ne faut pas chercher à comprendre, car « c’est ça l’Azerbaïdjan ! »

 

Rue de Kubinka, vidée par le coronavirus

Rue de Kubinka, vidée par le coronavirus

 

Guillaume Godest 

 

Photo de couverture : Les champs de pétrole de Neft Daşları : première exploitation offshore de l’histoire (photo Wikimedia)

24 avril 2020 2 commentaires
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ActualitéCarnet de voyageRomain Mailliu - 13 mois de volontariat en Indonésie

# 14 Une mer calme n’a jamais fait un bon marin

par Romain Mailliu 15 avril 2020
écrit par Romain Mailliu
LP4Y Indonésie

 L’exclusion, ce n’est pas la solitude qu’on ressent après neuf jours de quarantaine. Etre exclu, c’est ne pas exister aux yeux des autres. 

La crise sanitaire mondiale menace Kampung Sawah, le bidonville indonésien de Romain. Suivez avec son carnet de bord l’impact du Coronavirus dans les quartiers les plus pauvres.  [Chapitre 2]

 

La travail c’est la santé. Le 24 mars 2020

“Coach, can you open the door please ?”

J’ouvre les yeux en sursautant : le réveil n’a pas sonné. Il est 7h30 et les jeunes sont déjà devant la porte de notre centre. Le weekend est terminé. La journée commence à 8 heures mais nous ouvrons le centre une trentaine de minutes avant. Cela permet aux entrepreneurs de se retrouver et de débriefer sur leurs aventures de la nuit dernière. Un vendredi matin comme un autre. 

Les jeunes ? le travail ? l’activité ? le centre ? Tout cela est bien vague. Depuis plusieurs pages, je m’adresse à vous comme à un vieil ami, alors qu’on ne se connaît ni d’Eve ni d’Adam. Des présentations s’imposent, et le plus vite sera le mieux. 

Cher lecteur, presqu’un an a passé déjà depuis qu’une idée s’est installée durablement dans ma tête : partir découvrir, dès la fin de mes études d’ingénieur, une autre réalité. Je sortais d’un stage dans le monde de la finance et d’un mémoire de fin d’études sur l’industrie 4.0 : le champ des possibles restait large. Après réflexion, je dégageais 3 piliers que je jugeais essentiels dans mon aventure à venir : m’engager au service des plus pauvres, à l’étranger, en immersion totale.

Il y a aujourd’hui sur notre planète 1,2 milliard de jeunes entre 15 et 24 ans, dont 600 millions vivent en dessous du seuil de pauvreté (1,5€ par jour), mal nourris, victimes d’abus et de violences… Cela représente 1 jeune sur 2. J’ai donc décidé que c’était à ces jeunes que je consacrerais ma première année de vie professionnelle.

Après 10 jours de formation au volontariat de solidarité internationale avec la DCC en juillet 2019, j’ai décollé pour Manille, capitale des Philippines.  C’est là qu’a commencé il y a 10 ans l’aventure Life Projet For Youth (LP4Y). LP4Y est une ONG qui a pour objectif l’insertion professionnelle et sociale de jeunes en situation de grande précarité et frappés d’exclusion. J’ai rejoint l’équipe composée exclusivement de volontaires (plus de 120) et débuté 3 semaines immersives dans un centre de formation : le Green Village.

La pédagogie de mon ONG s’articule autour de la gestion d’une activité micro-économique par les jeunes des bidonvilles. En d’autres termes, ils expérimentent – en équipe de 17 – la création, le développement et la gestion d’entreprise. À Kampung Sawah, quartier pauvre au nord de Jakarta, notre entreprise produit et vend de l’eau potable. Finance, marketing, vente, gestion des stocks, livraisons, ressources humaines, les jeunes sont divisés en départements et ont des responsabilités qui évoluent en fonction de leur ancienneté dans le programme. Une véritable petite entreprise. Ces jeunes entrepreneurs travaillent et nous leur versons donc une rémunération. Elle leur permet d’apprendre à gérer de l’argent, et surtout à acheter à manger. 

La gestion d’entreprise représente 50 % de la formation. À celle-ci s’ajoute 30% de « learn » : rattrapage scolaire et acquisition de compétences nécessaires dans le monde du travail (anglais, informatique, communication etc.) et 20% de « guide » : développement personnel, management des émotions, accompagnement budgétaire, identification des compétences, projection dans l’avenir et construction de leur Projet de Vie… Vaste programme. Et mon travail dans tout ça ? Je suis « catalyseur », j’orchestre cette formation et m’assure que tout se passe pour le mieux !

Cela fait maintenant plus de 7 mois que je vis à Kampung Sawah et mes parents ont décidé il y a 24 ans de m’appeler Romain. 

 

les jeunes de LP4Y Jakarta

Notre équipe (16/11/2019) – © Romain Mailliu

 

C’est l’heure de la revue des troupes. Nous commençons la journée par un briefing, afin de fixer les objectifs de la journée. L’équipe est debout et m’écoute plus ou moins  lui délivrer des informations qui seront les mêmes les jours à venir. “Attention, lavez-vous les mains deux fois par heure, n’oubliez pas de porter votre masque et si vous avez de la fièvre, rentrez-vite chez vous. Questions ? Let’s go !”.  

Mais pourquoi garder le centre ouvert ? Nous savons que le confinement est la meilleure stratégie à adopter pour lutter contre la propagation du Coronavirus. 

Les écoles sont déjà fermées depuis deux semaines en Indonésie et le gouvernement va tôt ou tard – certainement trop tard – adopter des mesures plus strictes. N’est-ce pas  dangereux de continuer à travailler alors que dehors le virus prend comme le feu sur la poudre ? 

La question est légitime. D’ailleurs, notre centre s’est adapté à la situation et les jeunes n’assurent plus que la production et la vente d’eau potable. Nous avons stoppé les trainings et nous ne sommes ouverts que deux matinées par semaine. Les mesures d’hygiène ont été renforcées dans le centre. Le port du masque est exigé. Le lavage des mains au gel hydroalcoolique est effectué jusqu’à ce que celles-ci soient fripées comme le désert de Maranjab. Pour autant le risque zéro n’existe pas. Alors pourquoi continuer coûte que coûte à travailler ? 

 

Jeunes LP4Y Indonésie

Aknel Prianto et Wahab Abdul Ledang qui livrent de l’eau à un client (28/11/19) – © Romain Mailliu

 

Les raisons sont multiples. Premièrement, la distribution d’eau a été évaluée par LP4Y comme un besoin vital pour la communauté. En effet, il n’y a pas d’eau courante potable en Indonésie et les habitants, riches comme pauvres, doivent acheter des gallons ou de l’eau en bouteille pour s’hydrater. Cet argument se confronte à quelques objections. L’eau potable n’a pas disparu du jour au lendemain en Indonésie car à vrai dire il n’y en a jamais eu. Nous ne sommes donc pas les seuls producteurs de gallons dans le bidonville. Les concurrents sont nombreux et parfois moins chers. De plus, il existe un système d’eau courante auquel Kampung Sawah est raccordé. Quand les habitants n’ont pas assez d’argent pour acheter un gallon – ce qui arrive fréquemment – ils ne se laissent pas mourir de soif. Ils font bouillir de l’eau. 

 

LP4Y Indonésie

Ramdani Akbar et Angel Augustin en livraison (28/11/19) – © Romain Mailliu

 

Un autre argument me semble plus adéquat. Chez LP4Y, notre mission principale est de lutter contre l’exclusion des jeunes adultes. L’exclusion, ce n’est pas la solitude qu’on ressent après neuf jours de quarantaine. Etre exclu, c’est ne pas exister aux yeux des autres. A Kampung Sawah, beaucoup des jeunes qui ne vont plus à l’école, n’ont pas de travail et qui s’efforcent de survivre dans un monde qui ne les intègrent pas en sont les victimes. Fermer le centre, c’est bâtir un mur au lieu de construire un pont, c’est fermer la porte à l’espoir, c’est renforcer l’exclusion dont ils sont victimes. Nous devons donc coûte que coûte garder le contact avec les jeunes. 

 

LP4Y Indonésie

Angel Augustin et Diah Ningsih qui remplissent des gallons d’eau potable (29/11/19) – © Romain Mailliu

 

J’évoquerai également une dernière raison qui est peut-être la plus évidente : la rémunération des jeunes. Nos entrepreneurs gèrent une entreprise qui produit et vend des gallons d’eau. En contrepartie, nous leur versons une rémunération. Or, en cette période de crise, ce sont les seuls à ramener un peu d’argent de façon hebdomadaire à leurs familles. 

Je m’explique. Pour lutter contre le virus – ou plutôt pour s’en protéger – les entreprises ferment leurs portes et se mettent en quarantaine. Les premiers emplois supprimés sont les emplois indécents. Ce sont les métiers invisibles, sans contrat, sans assurance, dont on ne veut pas entendre parler. Il font pourtant vivre des millions de familles dans le monde. Or, en Indonésie quand une entreprise ferme, vous n’entendrez pas parler de chômage partiel, de prime ou de dédommagement. Les employés se retrouvent en congés sans solde, c’est à dire à la porte. 

Si nous fermons le centre, nous stoppons la rémunération des jeunes et avec elle, nous coupons les vivres à leurs familles. C’est aussi simple que cela. 

 

LP4Y Indonésie

Aknel, Angel, Wahab et les clients du bidonville de Kampung Sawah (28/11/19) – © Romain Mailliu

 

Une mer calme n’a jamais fait un bon marin. Le 27 mars 2020

Notre centre : un voilier dans la tempête. Les évènements se succèdent comme des vagues que nous prenons de plein fouet sans pouvoir reprendre notre souffle. Sarah est partie mais Fanette est de retour après dix jours confinée dans un hôtel. Fièvre, vertiges, maux de tête : elle pensait que c’était le coronavirus, je pensais que c’était le coronavirus, vous pensez que c’est le coronavirus, ce n’était pas le coronavirus. Enfin, d’après le test fait dans un hôpital public indonésien. Le personnel médical vient prélever à l’aide d’un coton-tige un peu de salive. cinq heures d’attente, deux minutes de consultation. Trois jours plus tard, les résultats sont formels : pas de coronavirus.

 Alors qu’était-ce ? La dengue ? La grippe espagnole ? Elle ne saura jamais. Quand on est volontaire, les « coups de fatigue » dans notre jargon, nous tombent dessus comme la neige en hiver. On ne dramatise pas, on lâche prise et on patiente. Parfois, quand la fièvre devient vraiment insupportable, on passe faire un check-in à l’hôpital. On arrive parfois à comprendre le diagnostic du médecin. On finit toujours par repartir avec un paquet de pilules – qui pourraient très bien être des dragibus – et on retourne se coucher. Après tout, c’est toujours une bonne occasion de prendre des vacances.

 Notre bateau est donc pris d’assaut par la houle. Chaque vague est une préoccupation, une secousse à envisager. Elles ne sont pas toutes aussi menaçantes mais elles arrivent de tous les côtés. Bateau ? Tempête ? Vent et marée ? Romain, as-tu perdu la tête ? Décortiquons un peu cette métaphore douteuse. 

 

Océan Pacifique

Océan Pacifique (Août 2017) – © Romain Mailliu

 

Ces vagues, ce sont les problèmes – disons challenges – des jeunes qui évoluent avec le coronavirus. A ce stade, ce sont généralement des challenges économiques : Le père de Taufiq a perdu son travail, il est le seul à pouvoir ramener de l’argent pour nourrir sa famille ; Les parents de Fikri sont rentrés “au village” pour fuir le virus, il est maintenant à la rue. Ces défis s’ajoutent à notre travail quotidien : Toy ne peut plus venir au centre car il doit aider sa grand mère à ramasser des bouteilles en plastiques pour les revendre ; Fami va donner naissance dans 4 jours et n’a pas assez d’argent pour accoucher à l’hôpital. Vous l’avez compris, ça fait beaucoup de “Challenges”. 

Ces secousses, ce sont aussi les workshops que LP4Y a mis en place pour s’adapter face à la crise planétaire. En Indonésie, nous sommes l’un des derniers centres qui n’est pas encore en confinement total. En Inde, au Vietnam, aux Philippines ou encore au Bangladesh, les centres assurent un suivi des jeunes plus ou moins à distance. Cela dépend de l’agressivité des policiers qui font respecter l’interdiction de sortie. 

Ces ateliers portent sur des initiatives variées pour améliorer nos processus. J’ai d’ailleurs une conf-call dans dix minutes pour parler du suivi des anciens jeunes du programme – faites-m’y penser. 

Dans cet ouragan, l’adversaire le plus dangereux se trouve parfois sous la mer. En effet, un courant puissant nous fait dériver et rend le cap difficile à garder. Il se réveille particulièrement le soir, quand la nuit tombe, et rien ne semble pouvoir l’arrêter. Ce courant, c’est l’information continue sur le coronavirus qui nous agresse jour et nuit. Réseaux sociaux, journaux, télévisions, mails, flyers, visiteurs : impossible de se déconnecter ou de chercher le vrai du faux. J’ai l’impression d’être spammé, assommé par des données qui me tombent dessus sans fin. Alors je garde quelques bribes d’informations, saisies ici ou là, et il m’arrive de les partager à qui veut bien les entendre. Sans le vouloir, j’imagine que je rajoute une couche à l’incompréhension générale.

 

Océan Pacifique

Océan Pacifique (Août 2017) – © Romain Mailliu

 

Moussaillons, il n’y a pas de voilier sans vent, ni de tempête. Ami d’un jour, ennemi du lendemain, le vent est un personnage bipolaire. Son rôle est déterminant quand on entreprend des aventures en mer. Son souffle peut porter notre bateau vers des horizons plus prospères ou le briser puis l’envoyer nourrir les poissons. Blizzard, parfois caresse matinale, il est déroutant. Quand le mistral se lève, les voiles se gonflent et les marins chantent. Ce vent, c’est nos familles en France. Elles jouent une place décisive alors que le virus fait de plus en plus de victimes. C’est la raison qui décide un volontaire à quitter le navire pour rentrer chez lui. La famille comme l’alizé est une source d’énergie inépuisable. Il suffit parfois d’un coup de téléphone de sa part pour dompter les flots ou pour déchirer les voiles… “Vas-tu rentrer en France ? ; félicitations pour ton engagement ! ; es-tu en sécurité ? ; nous sommes fiers de toi ; tu nous manques…” Les mots de nos familles alimentent nos peurs et nos joies. Il faut savoir s’en détacher sans prendre de distance.

Le vent est l’ombre de la tempête : quand il se dresse face au soleil, il perd son hostilité.

Sur le pont du voilier, je ne suis pas seul. Nous avons perdu un matelot c’est vrai, mais le hasard fait bien les choses : un amiral et un capitaine de vaisseau nous ont rejoint. Le cofondateur de LP4Y, Jean-Marc, et une haute fonctionnaire de l’organisation, Inès, se sont retrouvés bloqués en Indonésie. Ils étaient venus visiter un centre à Surabaya quand l’Inde, leur pays de résidence, a décidé de fermer ses frontières. Ils s’installent donc avec nous à Jakarta en attendant que la situation évolue.

Depuis huit mois, notre bateau, nous savions le garder à la surface. Lui donner un cap. Entre marins, nous avions eu le temps de découvrir nos qualités respectives et un bon équilibre s’était naturellement mis en place. 

Tout n’était pas blanc ou noir mais, comme les vagues qui déroulent tour à tour leur ardeur sur la plage, nous avions trouvé l’harmonie. Maintenant que l’équipage n’est plus le même, nous devons en reconstruire une. Et vivre avec son patron est un facteur qui peut faire gronder les éléments. 

 

Océan Pacifique

Océan Pacifique (Août 2017) – © Romain Mailliu

 

Découvrir le chapitre 1 : Les départs devraient être soudains →

15 avril 2020 15 commentaires
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Diam Welly est un village où régnaient la paix et l'harmonie. La communauté des Peulhs vivait avec celle des Mandingues sans distinction. La joie de vivre y avait élu domicile ; les hommes et femmes étant en communion. Karamokho, un homme de valeur et bien respecté au village, y vivait avec son épouse Coumba, une femme vertueuse que tous les hommes auraient aimé avoir dans leur concession. La tradition avait réussi à construire une société juste, faite de solidarité, d'amour et d'entraide.
Cependant, la modernité — ou selon les mots de l'auteur, le Nouveau Monde — ne laissera pas Diam Welly indemne puisqu'elle le fera résolument s'engager dans une nouvelle ère de mutations affectant les moeurs, la moralité, les codes et conduites favorisant, ipso facto, l'émergence d'individus — comme Sellou, faisant la cour à l'épouse de Karamokho alors absent — gouvernés par la satisfaction de leur plaisir et de leurs intérêts personnels.
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Montréal, Canada, 2020. 
Selon la perception de leur corps, ces femmes abordent des comportements distincts influençant leur utilisation de l'espace, leur posture, mais également leur toucher. Durant les séances photos, elles se surprennent de la tendresse qu’elles s’accordent. Ce travail ne rend pas nécessairement compte “d’imperfections physiques”, il tend surtout à questionner le rapport qu’elles entretiennent avec elles-mêmes dans un espace qui leur est donné
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Kol Ukok, Kirghizistan, 2015.
Traditionnellement, la yourte est ouverte vers le sud par une entrée unique. A l'intérieure, l’espace est quadrillé selon un usage précis. Le sud et l’est de la yourte sont l’espace de la femme où se trouvent le foyer et la place de travail. L’espace de l’ouest est réservé à l’homme et aux invités. Cette photo est révélatrice : dirigée vers le sud, c’est la femme qui se dévoile, à sa place comme l’admet la tradition
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Le comédien ET metteur en scène Michaël Benoit Delfini
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[CULTURE] - Déjà entendu parler des Bullshit j [CULTURE] - Déjà entendu parler des Bullshit jobs ? On doit l’expression à feu David Graeber 🔥
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Anthropologue ayant réhabilité l’anarchie ♾ Figure du mouvement Occupy Wall Street ♾ Ecrivain multi-récidiviste ♾ Les Sex Pistols n’ont qu’à bien se tenir ! 
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Dessin + article par l’audacieux @tibovski ✏️
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